Ma vision du cinéma
« Je suis le genre d’homme qui travaille avec passion, je me jette tout entier dans ce que je fais. J’aime aussi les étés brûlants, les hivers froids, les pluies diluviennes, la neige, et je pense que la plupart de mes films révèlent cela. J’aime les extrêmes parce que je les trouve plus vivants. J’ai toujours constaté que les hommes qui pensent comme des hommes, qui agissent comme des hommes, qui sont le plus eux-mêmes, sont toujours meilleurs que les autres. »
Akira Kurosawa
Pourquoi le cinéma?
Ma décision de vouloir devenir réalisateur s’est faite après avoir vu Les Sept Samourais d’Akira Kurosawa. C’était un samedi de printemps, j’étais au lycée, je m’ennuyais. À l’époque, je n’étais pas cinéphile et l’idée de regarder un film japonais en noir et blanc ne m’enchantait pas véritablement.
Le film m’avait été mystérieusement conseillé par mon premier professeur de chinois, un prêtre français qui avait vécu plusieurs années dans plusieurs pays d'Asie et qui à la sortie d’un cours me dit « si tu souhaites comprendre quelque chose du cinéma asiatique, alors commence par Les Sept Samourais d’Akira Kurosawa ».
J’achetais le film peu de temps après son conseil, mais ne pris la décision de le regarder que plusieurs mois après. Je ne sais pas pourquoi, ce jour-là, je finis par insérer le DVD dans le lecteur du salon, c’est alors que je fus subjugué dès les premières secondes du film ; je me rappellerais toujours cette musique de tambours laissant apparaitre le générique de début en gros caractères blancs calligraphiés à la main. Le film venait de m’happer tout entier de sa puissance. J’allais visionner, fasciné, chaque seconde des trois heures de ce long-métrage. Le film une fois terminé, je restais comme figé, sous le choc de ce que je venais de vivre, mon corps impavide cherchant à digérer cette expérience unique. C’est à ce moment précis que je me dis à moi-même : « dans la vie, je veux faire comme cet homme (Akira Kurosawa) ». Je ne formalisais pas clairement le fait que je voulais devenir cinéaste, mais désirais plutôt dédier ma vie à entretenir et partager la flamme du feu qui venait d’être allumé en moi; je voulais être capable de la même humanité, de la même grandeur et inspirer les autres, comme moi je venais de trouver l’inspiration de mon existence. Finalement, je voulais simplement être capable d’apporter du sens. Ce moment fit écho à une phrase du critique de cinéma Serge Daney, il disait: "Il faut toujours rester fidèle à ce qui nous a un jour transis.", je prenais alors la décision de rester toute ma vie fidèle à cette après-midi de printemps, à ce que j'avais ressenti à ce moment précis, je passerai ma vie à entretenir la flamme.
Je me précipitais à la médiathèque de ma ville et regardais la totalité de la filmographie d’Akira Kurosawa en moins de deux semaines. J’avais alors trois passions dans ma vie, l’histoire, la sinologie et le cinéma. Ne sachant pas quoi faire de ces trois passions difficiles à accorder entre elles, je prenais une année sabbatique après le bac. Je suivais alors les conférences de sinologie du Collège de France tout en lisant abondamment et regardant jusqu'à cinq films par jour.
Kurosawa disait que pour savoir réaliser de bons films il fallait surtout avoir de quoi raconter et savoir comment le raconter, et cela n'est accessible que par l'expérience, et je me rendis bien vite compte que les connaissances livresques seraient nécessaires, mais non suffisantes. Je pus avoir l'occasion de commencer à mettre en pratique mon apprentissage avec Huang Zheng (黄铮), un chinois du Sichuan qui était mon professeur particulier de mandarin ; il était étudiant en cinéma à Paris 3, mais également artiste photographe et cadreur professionnel pour la télévision chinoise. Quand je lui dis que je voulais devenir réalisateur, il m'emmena sur de nombreux tournages et me fit l'un des cadeaux les plus décisifs de ma vie, ma première caméra et ma première optique, une optique qui me suivra tout le temps jusqu'à aujourd'hui.
Un jour que nous buvions le thé en travaillant dans sa chambre de bonne de Montparnasse, il me demanda ce que je voulais concrètement faire après mon année sabbatique. Je lui répondis que je n'étais pas très avancé sur le sujet et il me répondit simplement : "Tu aimes le cinéma, tu aimes le chinois et la culture chinoise, alors pourquoi n'irais-tu pas faire du cinéma en Chine?" Je dois avouer que c'était la meilleure idée qu'on met dite à ce moment de ma vie.
De plus, l'industrie cinématographique chinoise était en plein boum et les étrangers intégrés dans ce secteur très peu nombreux, les opportunités étaient immenses. J'avais alors décidé de partir en Chine pour faire du cinéma.
Environ un an après cette révélation dans la conduite de ma vie et après de nombreuses tribulations, je me trouvais au cœur de la Chine, étudiant à l'université de Wuhan. J'allais y étudier la littérature classique ainsi que l'écriture dramaturgique et scénaristique; le cinéma étant un art syncrétique dont la quintessence réside dans ce qu'il raconte et comment il le raconte, je considérais que pour devenir un véritable cinéaste il fallait d'abord que j'apprenne à vivre et que j'apprenne à écrire. Il me semblait qu'étudier directement la réalisation n'avait aucune consistance et aucune utilité ; si un homme a vécu pleinement et qu'il sait écrire, il me semble qu'il dispose des éléments nécessaires pour pouvoir devenir un bon réalisateur, le reste ne sera qu'évident à ses yeux ; nous savons toujours comment doit être racontée une histoire que nous connaissons intimement.
Ce n'est qu'en pratiquant soi-même sans se borner à son art que l'on arrive pleinement à forger sa voie ; j'allais donc aussi apprendre en pratiquant le travail du montage et de la photographie de cinéma, mais aussi celui d'assistant-réalisateur en collaborant avec plusieurs documentaristes chinois. En l'espace de deux années, j'allais réaliser une dizaine de courts-métrages et travailler sur environ 20 films, dont plusieurs longs-métrages. C'est à cette période que je découvris un métier envers lequel j'entretenais de nombreux préjugés, celui de producteur. Je me rendis rapidement compte que ma position de français allait être un avantage notable pour la production de films indépendants en Chine ; ce genre étant très peu soutenu, et même contré par les autorités. Sans que cela n'est été formalisé, j'allais naturellement devenir producteur de cinéma, d'abord pour aider les copains, puis par engouement. Après avoir travaillé comme réalisateur salarié de studio à Shanghai, je pris conscience que d'être réalisateur et producteur sur ses projets pouvait revêtir un avantage considérable, celui d'être efficace et indépendant. À partir de ce moment, j'allais tout faire pour faire en sorte de toujours être réalisateur et producteur de mes films.
Après presque quatre années intenses passées en République Populaire de Chine, je rentrai en France pour créer ma propre société de production et persévérer dans ma voie ; KH pictures allait naitre deux mois après mon retour et Belith Films allait suivre trois ans après.
Quel est mon cinéma?
Faire du cinéma pour le cinéma n'a, à mes yeux, presque aucun intérêt ; pour moi, le cinéma n'est qu'un outil dont le but est de perfectionner l'humanité. Conscient de l'outrecuidance que peuvent avoir ce types de propos, c'est avec une sincère humilité que j'aborde le sujet, mais ce que je veux dire peut être résumé en ces termes simples, c'est grâce aux films d'Akira Kurosawa que j'ai eu envie de devenir un homme meilleur, et a mes yeux c'est ce que le cinéma a de plus beau à offrir. Je crois en la perfectibilité de l'Homme, et si, par mes films et le sacrifice de ma vie, je peux y contribuer, même modestement, alors ma vie aura valu la peine d'être vécue, voilà ce qui me motive à persévérer dans le vivant.
Mes références et inspirations
Le cinéma est un art syncrétique, et c'est pour cette raison que je l'aime autant. Passionné par l'art de façon générale, je n'arrivais jamais à me décider, j'aurais aimé être sculpteur, dessinateur, écrivain, et au final j'ai décidé d'être tout cela à la fois, je suis devenu cinéaste. Ainsi, bon nombre d'autres artistes ont exercé sur moi une influence certaine, je pense notamment à l'écrivain français d'origine chinoise François Cheng (程抱一) dont les écrits ont forgé à jamais ma vision de l'art. Le peintre chinois Shitao (石涛), mais aussi le graveur japonais Utagawa Hiroshige (歌川広重) et le peintre allemand Caspar David Friedrich on marqué de façon indélébile ma vision esthétique.
Pour ce qui est de la puissance narrative et de la force créatrice, Osamu Tezuka (手塚 治虫) est un maître indépassable. Mais celui qui a su, avec le plus grand goût marier l'efficacité occidentale à la subtilité orientale n'est autre que Jirō Taniguchi (谷口 ジロー). Ce que j'apprécie tout particulièrement chez ces artistes, ces créateurs, c'est l'universalisme et l'intemporalité de leurs histoires, et la simplicité efficace avec laquelle ils les racontent.
Pour ce qu'il s'agit du cinéma, évidemment ma première influence est celle de Kurosawa. Mais elle est moins cinématographique qu'humaine ; plus que la qualité de ses films, c'est la qualité de l'homme qui m'inspire, son humanité, l'exigence totale envers soi et la volonté de toujours s'améliorer, presque comme s'il avait toujours chercher à suivre les principes du célèbre samouraï Miyamoto Musashi:
1- Eviter toutes pensées perverses.
2- Se forger dans la voie en pratiquant soi-même.
3- Embrasser tous les arts et non se borner à un seul.
4- Connaître la Voie de chaque métier, et non se borner à celui que l'on exerce soi-même.
5- Savoir distinguer les avantages et les inconvénients de chaque chose.
6- En toute chose, s'habituer au jugement intuitif.
7- Connaître d'instinct ce que l'on ne voit pas.
8- Prêter attention au moindre détail.
9- Ne rien faire d'inutile.
Mais Kurosawa n'est pas la seule influence, la deuxième est un cinéaste français qui filma justement le tournage d'un des films de Kurosawa, Chris Marker. Evidemment, je ne peux qu'exprimer une certaine fascination face à son travail sur le court-métrage de science fiction La Jetée, un film a jamais inscrit dans l'Histoire du cinéma qui influença de nombreux réalisateurs, mais c'est avant tout le reste, son travail documentaire qui m'a le plus influencé. Son film documentaire m'ayant le plus profondément influencé est sans nul doute Sans Soleil (1983) ; le destin fit que lorsque je l'ai découvert, alors étudiant en Chine, j'étais en train de réaliser un film au concept similaire. A ce moment, je filmais la vie du quotidien dans le campus de l'université de Wuhan et ses alentours. Je m'attardais surtout sur les nombreuses statues et chiens errants qui habitaient l'université de leur emprunte quasi mystique. Je voulais au départ faire un film sous la forme d'un dialogue entre ces chiens et ces statues, mais je perdis assez rapidement le fil de ma pensée et je finis par ne plu filmer que les gens, simplement. Après un certain temps, je me rendis compte que cette habitude de tout filmer de façon fugace était restée et que je le faisais aussi sur tous les tournages de films auxquels je participais mais aussi durant mes nombreux voyages en Asie, si bien qu'au bout d'un moment je finissais par accumuler un grand nombre de matériaux. Je savais que je voulais faire un métrage de ces images, mais aucune idée précisément ne me venait en tête. Je découvris alors le film de Chris Marker et un film était né dans mon esprit: Chiens Errants.
Dans la continuité de l'écriture de mon roman témoignage Souvenirs de Wuhan racontant mes pérégrinations chinoises, j'allais réaliser un film inspirée de la trame du livre et illustrée par toutes ces images que j'avais accumulées au cours des années. J'allais faire un film retraçant le parcours qu'avait été le mien, j'allais raconter au travers des commentaires d'un narrateur fictif comment j'étais devenu cinéaste en Chine. Je venais, grâce à Chris Marker, de trouver enfin la forme narrative qui me correspondait. Je savais depuis longtemps que je n'étais pas attiré par les formes classiques de narration, et la pensée chinoise taoïste avait sue me permettre de trouver des concepts formalisant cette pensée qu'était la mienne, mais c'est Sans Soleil qui me montra ce que j'aimais faire et ce vers quoi je désirais m'aventurer.
Je développais ainsi une vision très paradoxale de mon cinéma, d'une part je suis extrêmement attachée à l'efficacité et la simplicité, voire même à l'épure, et d'un autre côté, je ne peux m'empêcher d'aller toujours chercher à expérimenter de nouvelles formes de narration. Sans pour autant vouloir faire de l'expérimental, je me dis qu'il y a toujours une façon de repousser les frontière d'expression de cette art si jeune qu'est le cinéma.